VISION #38 - Claudine Doury

 

Quand Claudine Doury entre dans une pièce, tout va très vite. On est tout de suite entraîné dans un flot d'idées et de désirs qui fusent. La première fois que je la rencontre il y a un an à l'Agence VU', c'est d'abord sa voix que j'entends, provenant du fond du couloir. Une voix au débit rapide, qui s'emballe. Enthousiaste, chaleureuse, nerveuse aussi. Je suis immédiatement fascinée par l'énergie de cette femme, son excitation et son envie débordante de rencontrer des gens, de les photographier, de vivre. Une femme et photographe qui a multiplié les voyages et les aventures en territoires inconnus, obsédée par l'ailleurs et aimant le défi, et dont on sent parfois une certaine agitation, une inquiétude. Peut-être celle de ne pas pouvoir tout faire.

 
Photo : Claudine Doury, Agence VU',Russie, Moscou, 1990, Ismalovo park, première photo décrite
 
 

Chaque vision est singulière, porteuse de sens et de changement. Le but de ce format est de rassembler de nombreux artistes et que chacun nous délivre sa vision et son expérience de la photographie.

 
 
Claudine Doury, Amour
Claudine Doury, Amour
Photos - ici et plus bas : Claudine Doury, Agence VU', Amour, livre publié chez Chose Commune
 
 

Née à Blois, Claudine Doury vit et travaille principalement à Paris. Photographe membre de l’Agence VU’ et représentée par la galerie In Camera, c'est d'abord comme iconographe (terme auquel elle préfère celui de picture editor, littéralement "choisisseur de photos") qu'elle entre dans l'univers de la photographie. Elle fait ses débuts à l'agence Gamma, où elle travaille entre autres aux côtés des photographes Raymond Depardon et Sebastião Salgado. Elle part ensuite à New York travailler pour l'agence Presse Images, puis rentre en France trois ans plus tard et intègre le service photo du journal Libération, sous la direction de Christian Caujolle.

À New York, Claudine photographie Coney Island sur son temps libre, les week-ends. Elle rêve déjà de voyager avec un appareil photo, de partir explorer des pays lointains. En particulier la Russie, qui commence à s'ouvrir avec la chute de l'URSS et dont elle a appris la langue à l'école petite. Pendant ses années au service photo de Libération, son désir de photographier s'affirme. Au bout de six ans, elle décide de se lancer comme photographe indépendante, soutenue par cette même rédaction, qui lui confie sa première commande.

 
 
Claudine Doury, Amour
 
 

Au début du podcast, Claudine Doury évoque ses premiers souvenirs liés à la photographie, les œuvres et les auteurs qui l’ont inspirée. Les photographes américains Robert Frank et Sally Mann, les films russes de Tarkovski et Boris Barnet, le cinéaste kirghiz Aktan Arym Kubat, ou encore l’écrivain Vassili Golovanov et son Éloge des voyages insensés. Elle nous parle de son parcours comme photographe pour la presse et de son écriture, singulière dès les débuts mais qu’elle parvient néanmoins à concilier avec ses commandes. Une photographie plus fascinée par les visages que par l’arrière-plan, au croisement de l’imaginaire et du réel, notamment à travers des éléments récurrents évoquant le conte : les cheveux des femmes, les miroirs, la forêt, l’eau…

 
 
 
 

Son univers, Doury l’a exploré et déployé au fil de ses voyages en Russie et dans les pays ex-soviétiques d’Asie centrale. Des territoires longtemps interdits, où elle trouve une inspiration particulière, autour des notions de mémoire, de transition et de passage du temps. Parmi ces lieux, le fleuve Amour est un territoire central de son œuvre. Elle revient ici sur ce voyage photographique majeur pour elle, qui s’étend sur près de trente ans et dont elle ne sait toujours pas s’il a une fin.

 
 
Claudine Doury, Artek
Claudine Doury, Artek
Photos : Claudine Doury, Agence VU', Artek, 1994-2003
 
 
 

« À mes débuts en tant qu’iconographe, je côtoyais des photographes comme Depardon ou Salgado et je prenais leurs planches contact sans leur demander. »

– Claudine Doury

 
 
 
Photos : Claudine Doury, Agence VU', Artek, 1994-2003
 
 

Dans cet épisode, la photographe aborde aussi l'adolescence, autre thématique essentielle de son travail. Un âge qu’elle associe à un moment à la fois d'affirmation de soi et de vulnérabilité, de force et de fragilité. Cet état “de transition”, “de métamorphose”, Claudine Doury l’a photographié dans plusieurs décors et de plusieurs manières. Elle évoque avec nous la série Artek (2004), réalisée en immersion dans un camp de vacances communiste pour jeunes adolescents en Crimée, et la série Sasha (2011) dédiée à la fin de l’enfance de sa fille, qu’elle a capturée dans un quotidien intime et onirique.

 
 
 
 

Et que reste-t-il des rêves de jeunesse plus tard, à un âge avancé de la vie ? Cette question, qui interroge la photographe, la pousse aujourd'hui à explorer cette part d'adolescence éternelle chez les personnes plus âgées. Notamment dans le cadre de la grande commande publique Radioscopie de la France, projet pour lequel elle est partie à la rencontre d'hommes et de femmes de plus de soixante ans qui veulent continuer de croire en leurs idéaux et décident de se réunir en communautés.

Autre projet abordé dans ce podcast et que la photographe mène depuis six ans, une série en hommage au solstice d’été et aux rites païens qui lui sont dédiés dans les pays slaves et baltes. Une date, le 21 juin, à laquelle elle ne prévoit désormais plus rien d’autre que de partir capturer ce moment “où la lumière inonde la terre et éclaire les êtres”. Enfin, Claudine Doury nous confie son attachement au livre photographique, et l'importance particulière qu'elle accorde à cette forme pour concevoir chacune de ses séries. Parmi ses ouvrages monographiques (Peuples de Sibérie, 1999 ; Artek, un été en Crimée, 2004 ; Loulan Beauty, 2007 ; Sasha, 2011 ; L’Homme Nouveau, 2017), elle évoque sa collaboration avec Chose Commune pour son livre Amour en 2019, récit charnière, celui de son "premier grand voyage". On ne vous en dit pas plus et on vous laisse plonger dans l’univers de cette figure incontournable de la photographie française, à la découverte de territoires autant géographiques, qu’imaginaires et intimes.

 
 
Photos - plus haut : Claudine Doury, Agence VU', L’homme nouveau, 2017 ici - Sasha, 2006-2009
 

Crédits :

Un podcast réalisé par Aliocha Boi et écrit par Lily Lajeunesse, produit par Noyau.studio, monté et mixé par Alexis Chapuis et mis en musique par Matthias Puech et son projet A Geography of Absence.

Liens :

Instagram
www.claudinedoury.com

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